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"Témoignage d'un phobique social"

 

J’ai vécu depuis l’adolescence avec la phobie sociale. A 30 ans passés, j’ai eu la chance de pouvoir m’en débarrasser (ou à peu prés). Mais elle a eu le temps, pendant 15 ans, de perturber sérieusement ma vie affective et professionnelle.
Cette expérience m’a fait comprendre certaines choses, dont la connaissance m’aurait été bien utile lorsque cette chimère s’est installé en moi. Le but de ce texte (et de mon engagement à Médiagora) est d’essayer de rassurer et d’encourager ceux qui vivent ce que j’ai vécu : on peut surmonter la peur des autres.
J’avouerai aussi, au-delà, vouloir rendre à l’adolescent d’autrefois, qui a souvent accepté l’inacceptable, le fruit de ses efforts, dont je profite à présent, avec le sentiment très net que ces sacrifices ont été consentis par un autre, bien différent de celui que je suis devenu.

J’essaierai donc de décrire les troubles dont j’ai souffert, plus ou moins dans l’ordre dans lequel ils sont apparus, en ne souhaitant à personne de s’y reconnaître. Ensuite, sans pour autant jouer au psychologue, je ne peux pas faire autrement que dire en quelques mots les étapes qui m’ont permis de tourner sans regret la page de la phobie.

Lorsque l'on parle de phobie sociale, on présente habituellement les symptômes classiques : gène dans les rapports humains, difficultés à être à l'aise lorsque l'on est exposé au regard d'autrui, etc...

Chez moi, cette phobie a toujours été accompagnée (et peut-être même précédée) par deux symptômes très envahissants, rarement cités et pourtant connus par les spécialistes.

Le premier est une sorte d'inhibition mentale en situation d'exposition sociale.
Le jargon médical emploie, paraît-il, le terme de "sidération mentale". C'est chez moi la première manifestation dont je me souvienne d'un trouble lié à la phobie sociale. Il s'agit, clairement, d'une incapacité à mobiliser plus de trois neurones lorsque l'on est dans une situation anxiogène.
Le problème est que, dans la phobie sociale, la situation est fréquemment une situation d'échange avec un ou plusieurs interlocuteurs. La disparition subite de certaines capacités intellectuelles complique singulièrement la suite des échanges.
Elle oblige à développer des talents de simulation (pour ne pas dire de manipulation) pour convaincre votre interlocuteur que vous suivez toujours la conversation, alors qu'intérieurement vous savez qu'une bonne partie de votre pensée a régressé de manière dramatique.

On apprend (moi, en tout cas, j'ai appris) assez vite à vivre avec ce handicap : on pourra peut-être le chasser un jour mais, en attendant, il est là. Reste à le gérer du mieux possible, et ça, c'est une autre affaire.

Avouer franchement ce qu'il se passe est, dans une écrasante majorité de cas, le meilleur moyen de passer pour un imbécile.
Dans un premier temps, vous suscitez la compassion. Si vous avez de la chance, vous avez droit à une tentative sincère de compréhension.
Dans un second temps, tous vos échanges avec la personne concernée sont comparables à ceux qu'elle aurait avec un débile léger.
Dans un troisième temps, les deux parties évitent soigneusement d'avoir affaire ensemble, puisque les dés sont définitivement pipés.
Evidemment, c'est une caricature, mais ce n'est pas loin de la vérité.

Les autres façons de gérer le problème nous rapprochent, en terme de résultat final, des comportements plus classiques liés à la phobie sociale.
S’accrocher coûte que coûte à une opinion que l’on n'est plus capable de défendre, s’énerver, trouver une excuse pour mettre un terme à la conversation puis, souvent, oublier ou refuser des rendez-vous qui risquent de faire apparaître le malaise.
On est là dans une spirale d’évitement, fréquente dans toutes les formes de phobies.

Avec un peu d’attention, on sent que les capacités cognitives que l’on perd peuvent être remobilisées facilement. En travaillant sur les mécanismes semi-conscients qui provoquent ce blocage, j’ai réussi à retrouver un peu de marge de manœuvre.
C’est à partir de là que j’ai vu apparaître les vrais symptômes de la phobie, ainsi que le sentiment de peur des autres, caractéristique de l’anxiété sociale.

D’après ce que j’en ai compris, l’inhibition était utilisée de manière réflexe pour éviter la confrontation mentale avec l’autre. En gros, elle m’évitait d’avoir peur. Tout progrès dans ce domaine se payait, à l’époque, par une montée de l’anxiété.
Il s’agissait donc bien de manœuvre et de tactique, où il fallait savoir capituler à temps (et donc accepter un repli intellectuel).
En effet, l’anxiété pouvait atteindre des niveaux invraisemblables et inacceptables, jusqu’aux crises d’angoisses, avec un sentiment de dépersonnalisation.

On arrive ici au deuxième symptôme un peu atypique.
La dépersonnalisation est un mécanisme qui abolit la perception de la différence entre vous et le monde extérieur. Autrefois (j’avais 16 ans), j’appelais ce phénomène « repeindre la chambre ».
Cela signifiait que tout ce qui m’entourait, les murs, les objets, les meubles se trouvaient recouvert d’une couche de moi-même, ils faisaient partie de moi. Il s’agissait généralement de ma chambre puisque je ne pouvais envisager de laisser la crise se produire en public.
Je crois que c'est une sensation impossible à imaginer quand on ne l'a pas vécue. Moi-même, j'ai du mal à me la représenter puisqu'il y a presque dix ans que j'ai réussi à m'en débarrasser.
Pendant ces crises, je basculais dans un autre monde, qui se déployait puis s'effaçait peu à peu, en offrant un spectacle assez impressionnant. Cela ne durait jamais plus d'une heure ou deux, mais semblait durer une éternité.
J'ai eu la chance de ne jamais oublier que cette éternité n'en était pas une, et qu'il y aurait un après où je me retrouverais. Si je l'avais oublié ne serait-ce qu'une fois, je me serais immédiatement jeté par la fenêtre.

J'avais donc plusieurs problèmes à résoudre.
Tout d'abord les crises, qui constituaient le symptôme le plus intolérable, mais qui n'étaient qu'une conséquence. De fait, leur régression n'a jamais été que le résultat des progrès que j'ai pu faire dans les autres domaines.
Ensuite, les inhibitions cognitives, qui pouvaient être très invalidantes.
Enfin, les symptômes classiques, en commençant par les évitements, et la peur de l'autre proprement dite, qui est à l'origine de tout.

Je ne suis pas compétent pour parler de thérapie comportementale et cognitive, mais je peux dire que c'est une démarche du même type qui m'a permis d'en sortir.
Le principe était de refuser la fuite, de s'exposer, tout en restant modeste.

Il faut absolument apprendre à sentir ses limites, même si c'est au prix de quelques erreurs (c'est la base de tout apprentissage), pour savoir lâcher du lest quand il le faut.
Pousser trop loin peut amener un état dépressif ou un état d'anxiété si fort que tout progrès devient impossible pendant plusieurs mois, et c'est autant de perdu dans la lutte contre la phobie.
Il faut en revanche se méfier du penchant naturel qui consiste à éviter toute confrontation si elle n'est pas inévitable et si elle risque d'aggraver l'anxiété. C'est cette tendance qui produit l'évitement.

Systématiquement, une exposition réussie provoquait chez moi un rebond d'angoisse. Mais, à condition qu'elle se situe dans la limite du tolérable, l'analyse des mécanismes cognitifs qui avaient nourri la peur pendant l'exposition permettait une maturation du cerveau qui, peu à peu, intégrait ces nouvelles informations comme autant de remarques pertinentes.

Ce processus est LENT.
Il est, de plus, en grande partie, inconscient. J'ai passé une bonne partie de mon temps à essayer de montrer, par les expériences d'exposition, et d'expliquer, par l'analyse cognitive, une nouvelle façon de penser à un cerveau qui refusait de comprendre.
Pendant un temps toujours trop long, on a l'impression de travailler pour rien, ou du moins pour pas grand chose.

Et pourtant, un jour, j'ai compris que le message était passé.
Les réactions cognitives mises en jeu dans les situations sociales avaient commencé d'évoluer. Elles jouaient moins souvent la carte de la fuite; elles tentaient enfin d'agir et d'assumer les situations.
Ce moment a été extrêmement net, même si je ne l'ai perçu que lorsqu'il avait commencé depuis plusieurs semaines.
Dès lors il n'y avait plus qu'à continuer, avec la certitude de pouvoir enfin réussir.

Chez moi, ce travail a duré plus de dix ans.
Il a demandé un effort moral, intellectuel et même physique (!) soutenu.
Il m'a fallu inventer par moi-même la démarche thérapeutique comportementale et cognitive, dont je n'avais jamais entendu parler.
J'ai eu la chance d'en être capable, mais il est probable qu'une thérapie, menée dès le début par un toubib spécialisé, compétent et sympathique, m'aurait fait gagner beaucoup de temps.
J'ai eu aussi la chance, par périodes, d'être suivi par des médecins qui ont su s'adapter à une démarche qui avait commencé sans eux et qu'ils ont soutenue même si, pour certains, elle ne s'inscrivait pas dans leurs choix thérapeutiques. Lorsque j'ai pu lire des travaux sur ces thérapies et rencontrer des médecins qui les pratiquaient, j'étais moi-même engagé dans une TCC sans le savoir.
C'était devenu une affaire personnelle, j'avais déjà obtenu des résultats, et je n'étais plus disposé à rentrer dans une thérapie au sens strict. Ce dont j'avais besoin, c'était plus d'un soutien, de conseils et, aussi, d'un support médicamenteux.

Sur le sujet des médicaments, j'ai toujours eu la volonté (et presque l'obsession) de m'en passer. Mais je ne les ai jamais refusés, je les ai même parfois réclamés. Il me semblait absurde de s'enfoncer dans l'anxiété et d'accumuler les échecs pour des considérations d'ordre théologique sur le médicament-béquille ou la pilule-miracle.

L'anxiété n'a pas disparu pour autant.
Elle est surtout devenue gérable sans recourir à la fuite.
Lorsque je la sens arriver, je peux faire appel à des méthodes qui permettent de la contenir et, souvent, de la faire disparaître.
En résumé, pour moi, le principal progrès a été d'apprendre et d'intégrer ces méthodes, qui jouent à la fois sur les cognitions et les comportements.
Elles sont maintenant devenues des réflexes, qui s'activent sans que j'en sois vraiment conscient, dans les situations où, autrefois, c'est la peur qui était activée.

Cela peut étonner mais j'ai réappris à penser.
J'en suis assez content. Et peut-être même un peu fier.
Il ne me reste plus qu'à continuer.


Bruno.

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