Reproduction de l'article parue dans le magazine l'information Psychiatrique de Nov 2009
 

Auteur(s) : Claude Finkelstein - Présidente de la Fnapsy
 

Nous sommes une fédération née en 1992 regroupant 65 associations, soit environ 8 000 usagers toutes pathologies confondues.

La vie d’une telle fédération n’est pas, vous vous en doutez bien, un long fleuve tranquille. Comment en effet faire travailler ensemble des personnes qui sont en souffrance psychique, repliées sur elles-mêmes, dont la souffrance submerge tout ? Cela a été l’utopie de notre naissance, accompagnée fidèlement par le Pr Zarifian, qui a cru en nous.

D’abord sont nées les associations d’usagers résultant de la confluence de deux courants : les relations avec l’Europe du Nord (Royaume-Uni, Danemark, Pays-Bas) qui était déjà structurée quant à la représentation des usagers en santé mentale, et le mouvement psychiatrique ou plutôt anti-psychiatrique des années 1970 en France, ainsi que le regard bienveillant de certains professionnels, souvent pratiquant la psychothérapie institutionnelle.

Les trois premières associations qui se sont fédérées étaient l’« AME » (Association pour le mieux-être), « Revivre Paris » (dont le président est notre président d’honneur, Jacques Lombard) et l’« APSA » (Association des psychotiques stabilisés et autonomes).

La Fnapsy était alors la Fédération des associations de (ex)-patients des services psychiatriques.

La fédération, avait surtout pour but de susciter et d’aider à la création de nouvelles associations. Elle a bien rempli cette tâche puisque nous sommes passés de 3 à 65 associations, toutes dirigées par des usagers.

On me demande souvent pourquoi l’appellation « usager ». D’abord parce que nous avons une culture européenne (relations continues avec l’Europe du Nord qui est en avance sur le droit et la reconnaissance des usagers). Le terme « user » utilisé par les pays anglo-saxons se traduit naturellement par usager. Notre évolution a été de passer de patient, donc sujet malade hospitalisé, à usager, donc personne en situation de souffrance psychique. Le fait d’être adhérent d’une association affiliée à la Fnapsy démontre aux yeux de la société une reconnaissance de notre pathologie, donc une démarche d’empowerment1, et surtout un mouvement qui devrait entraîner une déstigmatisation des maladies psychiques.

Les associations d’usagers sur le terrain pratiquent surtout l’entraide, l’information et la mise en réseau des compétences. De cette volonté naîtront les groupes d’entraide mutuelle dont je parlerais plus tard.

Il est important pour un usager de pouvoir adhérer à une association où, rencontrant des personnes ayant les mêmes difficultés et les mêmes stigmates, il peut s’exprimer librement, se sentir reconnu et soutenu, ce qui permet de mieux prendre conscience qu’il ne s’agit que de maladies ou dysfonctionnements. En être conscient permet de surmonter au mieux les difficultés qui en résultent.

L’entraide prend là toute sa dimension. Également le facteur temps, qui n’est pas chez nous, le même que celui de la majorité des citoyens.

La fédération représente ces associations auprès des pouvoirs publics. Pour cela elle a un fonctionnement le plus démocratique possible. Chaque association reçoit une lettre mensuelle ainsi que le maximum d’informations possible sur tout ce qui peut nous concerner. C’est ainsi que nous avons créé durant la commission Couty, des commissions internes par thème abordé, qui ont travaillé pour apporter à la présidente les informations et les demandes directes des usagers concernés.

Cela a d’ailleurs été souligné lors de l’audit que nous avons subi, que toutes les décisions importantes de la vie de la Fédération étaient prises en conseil d’administration, nourri par les informations des commissions.

Notre assemblée générale regroupe des délégués envoyés par les associations membres, délégués dont le nombre est déterminé par le nombre des adhérents des associations. Les grandes orientations de la Fnapsy sont prises régulièrement (tous les deux ans) par la conférence des présidents des associations.

Nous sommes donc structurés. Vous devez bien vous rendre compte que cette structuration est difficile pour des personnes qui sont toutes en situation de handicap psychique et dont la première souffrance résulte d’une déstructuration. Vous pouvez imaginer nos difficultés en interne, avec notre conseil d’administration composé actuellement de quinze membres, tous en souffrance, venant de toute la France. Comment concilier et trouver des buts communs entre des personnes qui souffrent d’une pathologie les amenant à être régulièrement internés et des personnes souffrant de troubles phobiques qui ne connaissent que le secteur psychiatrique ? la Fnapsy trouve justement dans cette disparité sa légitimité mais surtout les moyens de représenter toutes les personnes souffrantes sans se spécialiser sur l’un ou l’autre aspect. C’est un facteur stabilisant important. En effet nos adhérents sont soit utilisateurs du service public soit utilisateurs du service privé, et même utilisateurs des deux. Nous connaissons les « bons secteurs » mais aussi les « bonnes cliniques ». Nous cherchons partout les bonnes pratiques. La psychiatrie souffre terriblement de ces clivages public/privé, chapelles et autres.

Nous avons d’excellents représentants qui sont des personnes souffrant de handicap « lourd » pour reprendre la sémantique de certains professionnels, et qui ont une vie vivable en utilisant tous les moyens à leur disposition : molécules parfois âprement discutées avec leur médecin, psychothérapies de soutien ou autres actions. Chacun apporte dans les associations d’usagers son expérience, ses connaissances des moyens pour lutter contre la maladie. Ce partage qui devient au niveau de la fédération une connaissance commune, permet cet empowerment si cher à la communauté européenne. Il ne s’agit plus là d’observance mais bien de connaissance et d’utilisation de cette connaissance.

Nous devenons experts de notre pathologie et partenaires avec les experts que sont nos thérapeutes. La mise en synergie de ces deux expertises, dans le respect mutuel, est pour nous la véritable alliance thérapeutique sans laquelle notre vie devient un enfer.

Simplement vous pouvez comprendre ce qu’est notre fonctionnement si difficile qui fait que nous sommes très peu réactifs (facteur temps) mais heureusement inventifs donc proactifs.

Notre conseil d’administration connaît toute cette problématique. Les absences pour hospitalisation, les réactions difficiles de certains administrateurs (chacun à notre tour) écorchés vifs qui donnent leur démission et qui reviennent. Tout cela va sans dire chez nous, mais nous en parlons simplement. Cela fait partie de notre quotidien.

Nous avons aussi les démissions par fatigue. Nous venons de changer de vice-président, le dernier qui a tellement œuvré pour la Fnapsy, a eu besoin de se tourner vers des activités « plus ludiques ». Car, s’il est positif d’être militant et nous permet de ne pas oublier nos difficultés, c’est également fatiguant et tellement prenant.

Je suis donc présidente, soutenue par deux vice-présidents (maladie oblige). Ma position est très difficile. La première personne qui m’a donné la parole est Michel Horassius, lors d’un congrès2. J’étais « jeune » militante, nous étions fragiles, et je demandais « qu’on me donne la parole ». Quelle difficulté pour des personnes comme nous de prendre la parole. Quelle difficulté d’apporter la parole collective, et non comme on nous le demande souvent un témoignage, c’est-à-dire notre vie.

La Fnapsy est partenaire de la conférence des présidents des CME des CHS et de l’Unafam. Partenaire, comme cela est difficile. Nos institutions, à l’instar des personnes qui les composent, reproduisent les relations humaines. Comment se tenir partenaire avec des personnes qui sont natellement nos soignants, sans reproduire la situation soignant/soigné, donc la dépendance. Comment se tenir partenaire avec des personnes qui représentent les familles et qui voient en nous leur fils ou fille souffrant. La parole collective nous aide, m’aide en tant que présidente.

Le revers de cette position est que j’entends souvent la réflexion « oui mais Claude n’est pas une malade ». J’ai même entendu lors d’un colloque un directeur d’hôpital me dire que j’étais une belle vitrine mais que je n’étais pas représentative des personnes en souffrance.

Comment s’en sortir ? L’alternative était la suivante :

On pourrait comparer cette situation entre l’être et le paraître, la légitimité avec l’exploitation, ou la représentativité acceptée et respectée. Montrer sa force, mais aussi sa faiblesse. Quadrature du cercle.

Il m’est arrivé, le moins souvent possible, d’exprimer ma souffrance. Le pire pour moi est de l’exprimer contre ma volonté. Je m’explique : lorsque les discussions deviennent difficiles, lorsque je comprends que la parole de l’usager ne va pas être prise en compte, tellement de personnes savent mieux que nous ce qui est bon pour nous, je n’arrive plus à m’exprimer calmement et là je peux constater les regards et les paroles de « réconfort » des familles ou des professionnels. Cela me repositionne dans la situation de l’usager individuel qu’il faut protéger car il n’a pas toute sa raison. Ce qui, vous le comprenez, démultiplie ma souffrance et mon impossibilité à m’exprimer selon les critères de ce genre de réunion.

A contrario, il m’est arrivé de l’exprimer pour mieux convaincre. La dernière fois, c’était lorsque j’étais invitée par le Dr Halimi, pour convaincre nos institutions que le port du bracelet électronique n’était pas adapté à la situation des personnes hospitalisées sous contrainte. J’ai pu prévenir que mon intervention allait engendrer chez moi de la souffrance qui mettrait plusieurs jours à s’estomper, et que ce que je faisais était très pénible. Raconter ses souffrances, sa déraison, entre pairs est simple, je dirais facile. Le faire devant des étrangers, fussent-ils des thérapeutes, ne l’est pas.

J’espère vous avoir fait partager notre action. Mon but était de vous montrer à vous qui nous connaissez individuellement, qui connaissez notre souffrance et qui nous apportez toute l’aide possible, ce qu’est notre mouvement. À la fois fort et si fragile. Notre force vient du fait que nous sommes représentatifs et que nous ne nions pas nos maladies. Notre force vient du fait que nous avons compris le travail en réseau et qu’il n’y avait pas qu’une vérité mais que nous devions prendre en compte les trois dimensions : la nôtre, bien sûr, la plus importante, car sans nous il n’y aurait ni soignants ni familles. Mais aussi celle des soignants avec la problématique de l’hospitalisation sous contrainte. Mais aussi celles des familles, quand elles sont présentes, aimantes certes mais aussi trop protectrices et cherchant la guérison et l’intégration, ce qui n’est pas toujours notre « projet de vie ».

La même problématique se retrouve dans les GEM. (groupes d’entraide mutuelle). Ils ont été mis en place pour les usagers. Ils devraient fonctionner par les usagers. Mais il est tellement difficile pour nos partenaires de comprendre que nous pouvons parfaitement gérer, avec l’aide de personnes ressources choisies si besoin, un tel dispositif. Il serait dommage et dommageable que ce dispositif soit récupéré soit par les familles soit par des professionnels (social médical ou médico-social). Le facteur temps entre encore ici, laissez-nous le temps de faire ou de faire faire. Ne décidez pas à notre place. Si ce dispositif ne répond pas à terme au projet initial ce sera terrible pour nous les usagers. Le peu d’espoir qui a été insufflé d’empowerment nous sera retiré et nous confortera dans l’idée que soit nous sommes « bons à rien » soit « on ne nous laisse pas faire ».

Je me sens un peu dans la peau du tribun de la plèbe, écartelée entre des impératifs contradictoires. Comment faire respecter la parole de ceux que je représente alors que la stigmatisation est toujours aussi présente, véhiculée parfois à leur insu autant par nos partenaires, que par les médias et la société ?